Le queer et féminité sont souvent considérés comme étant incompatibles avec les machines fortes
dites masculines, notamment autour des voitures. Les bolides et leur moteur, la mécanique, et la
misogynie… Des hotwheels jusqu’au garage, le boys club qu’incarne le monde des bagnoles nous
écarte volontairement, en entretenant le dualisme de l’homme civilisé contre les Autres naturels et
organiques.
À la rigueur, une des seules formes de féminité présente dans le monde des engins, c’est l’allégorie de la voiture comme étant un corps de femme ; par ses courbes séduisantes, ses phares au regard sensuel, par son nom Titine, Mimi, Choupette, et même Christine chez Carpenter. La mécanique incarne l’idée d’un corps féminin organique, seulement, toujours pour le male gaze.
Et pourtant, la voiture, c’est aussi la promesse/menace d’une perte de contrôle, un lieu d’intimité secret caché au fond d’un parking vide ou en haut d’une colline en fin de soirée, une vitesse palpitante ou exaltante, fluide et changeante qui nous permet de ne penser à rien, de ne rien ressentir et d'atteindre l'indifférence (la vitesse selon Paul Virilio). Quelle que soit la vitesse, l'espace isolé de l'habitacle d'une voiture peut induire des modes d'existence "différents", transcendant les cultures automobiles hétéronormatives de la modernité. Et dans ces possibilités et multitudes qu’elle nous offre, la voiture nous amène au-delà du boys club toxique du garage qui sent l’essence et la transpi, notamment dans le monde du tuning.
Le tuning transcende ce corps initial de métal. On passe de la voiture lambda et sobre à la machine flamboyante bourrée de prothèses ; c’est un processus de devenir autre enraciné dans une boys culture excluante et violente. L’entièreté de la voiture change, se modifie et se transforme pour exprimer une nouvelle identité. Son intérieur comme sa carrosserie évoluent pour devenir une tout autre persona conceptuelle qui se présente souvent d’une façon spectaculaire (dans des shows, des courses, des salons, sur scènes et/ou sous les projecteurs, devant un public…), à l’aide de peinture, prothèses, modifications, améliorations, néons, et va ainsi à l’encontre de la norme par son esthétique de la dissonance.
Le tuning agit comme point de rupture, comme élément qui met en
crise notre rapport au standard et aux canons esthétiques, c’est la création contre le contrôle.
Les voitures tunées sont les drags mécaniques méta(l)morphosé·es mettant en évidence un désir
d'évasion ou d'aventure au-delà des contraintes de la normalité, et les drag queens/kings/queers sont
les voitures pimpées organiques faisant exister des narrations et des identités en dehors du statu
quo. Se tuner, c’est parfaire son apparence par le vêtement, contrôler les différentes formes de
présentation de soi (voire des multiplicités de soi) et invoquer le dépassement du choc frontal des
genres. Ru Paul ne nous parle peut-être pas de Drag Race pour rien.